De l’intelligence artificielle aux nano-technologies en passant par la génomique, nous sommes à l’aube d’une phase de progrès technique intense dont la communauté financière doit prendre conscience car elle va bouleverser toute la sphère économique.

Points clés:

  • La révolution technologique en cours, qui touche notamment au vivant, pourrait se traduire par une forte hausse de l’espérance de vie.
  • L’accélération du progrès technique pourrait entraîner un bouleversement du cycle d’épargne, la disparition d’entreprises et d’emplois concurrencés par l’intelligence artificielle.
  • La concurrence des Fintechs et l’augmentation de l’espérance de vie devraient provoquer des changements dans le secteur de la banque et de l’assurance.
  • La communauté financière doit diversifier ses risques pour faire face à un environnement volatil et incertain.
La révolution NBIC1 est en marche

Nous sommes à l’aube d’une révolution technologique sans précédent. La loi de Moore, du nom d’un des cofondateurs d’Intel, en est le fondement : elle veut que la puissance des ordinateurs double tous les dix huit mois et, si le rythme a en réalité quelque peu ralenti - on parle plutôt aujourd’hui d’un doublement tous les deux ans et demi - le processus de baisse continue du coût des technologies de l’information reste une réalité. S’y ajoute une vague coordonnée d’innovations dans les biotechnologies, les nanotechnologies et des sciences cognitives, d’où la notion de NBIC (nano, bio, informatique, cognitif).

Notre civilisation a déjà vécu des bouleversements technologiques, comme entre 1880 et 1910 avec l’arrivée de l’aviation, l’électricité ou la chimie fine. Mais jamais ils n’avaient touché directement au vivant. Le principal bond en avant des trois dernières années, et qui a récemment fait l’objet d’un sommet à Washington, est la démocratisation de l’ « editing » du génome humain, c’est-à-dire la capacité à modifier l’ADN via des enzymes, les nucléases. Comme avec l’informatique, le coût de ces technologies baisse rapidement. En 10 ans, le coût du séquençage d’un ADN a ainsi été divisé par trois millions. L’utilisation des nouvelles technologies du vivant sur l’espèce humaine est attendue à l’horizon 2025 ou 2030 : nano-moteurs, nano-capteurs et nano-implants permettront de détecter, de prévenir ou de soigner nos pathologies. C’est à partir de ce moment qu’on peut s’attendre à une forte inflexion à la hausse de l’espérance de vie, qui pour le moment progresse au rythme de trois mois par an environ dans les pays de l’OCDE, ce qui signifie que chaque année, nous ne nous rapprochons de notre mort que de neuf mois. Cela m’a conduit à formuler le postulat que le premier être humain immortel était déjà né. N’oublions pas qu’un enfant né l’année dernière n’aura que 85 ans en 2100 : or, c’est bien de la technologie qui sera disponible en 2100 que dépendra son espérance de vie réelle, et non de la technologie actuelle.

Des conséquences sociales et économiques multiples

On peut imaginer de multiples conséquences à une telle accélération du vieillissement de la population. Probablement, cela se traduira d’abord par une poursuite de la baisse de la natalité, qu’on observe classiquement dans les pays où la longévité s’accroît fortement, comme l’Allemagne ou le Japon, le phénomène étant masqué en France en raison de l’immigration. Lorsque l’espérance de vie dépasse 80 ans, la population se met à baisser. Sur le plan économique, cela entraînera un bouleversement complet du cycle d’épargne. Surtout, il ne faut pas oublier que l’allongement de l’espérance de vie n’est pas la seule évolution forte que nous pouvons attendre dans les décennies à venir. Il y a également l’intelligence artificielle et la robotique, qui vont entraîner un turnover technologique de plus en plus rapide. Il faut donc s’attendre à des phénomènes schumpetériens très forts de « destruction créatrice ». Alors que les êtres humains vont vivre de plus en plus longtemps, nous entrons dans une révolution technologique et industrielle qui devrait durer 20 ou 30 ans et entraînera de nombreuses disparitions d’entreprise dans tous les secteurs impactés par ces évolutions : l’éducation, la santé, l’automobile, l’industrie, une bonne partie des services. Autre conséquence : si l’espérance de vie va augmenter, l’employabilité des personnes va, quant à elle, aller en diminuant. Sebastian Thrun, l’inventeur de la Google Car, résume cette future réalité de la manière suivante : « Il va être de plus en plus difficile pour un humain avec un cerveau biologique d’être utile face à l’intelligence artificielle. » Depuis les premières réflexions sur l’intelligence artificielle à la conférence du Dartmouth College en 1956, tous les spécialistes se trompent régulièrement et aucun n’est d’accord mais on peut imaginer qu’à l’horizon 2030, des automates chirurgicaux seront capables d’opérer seuls des malades. Ce ne sont donc pas seulement les emplois les moins qualifiés qui sont potentiellement menacés.

Quels impacts pour le secteur financier ?

Toutes ces évolutions ne seront pas sans conséquences sur une industrie financière qui est plutôt conservatrice et doit s’intéresser de près à la technologie, comme l’y incite l’arrivée des Fintechs, ces sociétés utilisant les nouvelles technologies pour proposer des services financiers et/ou bancaires innovantes. Dans les années 2000, la banque traditionnelle a plutôt bien résisté à l’arrivée de la banque en ligne mais commence à perdre du terrain. La migration vers le mobile, où le smartphone devient un outil de paiement, y compris de particulier à particulier, pourrait accélérer les choses. Si les banques ne réussissent pas à moderniser leur informatique, elles risquent de décliner progressivement, les « GAFA » devenant banquiers au travers du téléphone mobile. L’intrusion de sociétés Fintechs utilisant des technologies issues du bitcoin sont aussi une éventualité à considérer. Enfin, on peut aussi penser que les banques vont se réveiller face à la menace, notamment en accueillant à leur conseil d’administration des personnalités technophiles. Pour les assureurs, les challenges à venir sont techniques mais aussi actuariels. Après 2030, on aura une grande incertitude sur l’espérance de vie, ce qui sera porteur d’instabilité pour eux, comme pour les acteurs du crédit hypothécaire ou de l’épargne retraite. Prenons l’exemple de l’assurance décès. Lorsque tout un chacun aura accès à son propre génome, les clients bénéficieront face à leur assureur d’une dissymétrie d’information en leur faveur, ce qui pose un certain nombre des questions.

La communauté financière doit s’habituer à l’incertitude

Pour les investisseurs institutionnels et les analystes financiers, il sera crucial d’intégrer les risques technologiques croissants dont nous parlons. Par exemple, cela fait très peu de temps que les analystes financiers s’inquiètent des impacts de l’émergence de la voiture autonome sur la santé des constructeurs automobiles traditionnels, dont la valorisation actuelle ne semble aucunement intégrer les risques de bouleversement du secteur qui pourraient venir de Google, Apple ou Tesla. Il est vrai qu’il y a encore quelques années, les dirigeants des constructeurs en question estimaient qu’une voiture se pilotant de manière autonome sans système de guidage au sol était tout bonnement impossible. L’intelligence artificielle, déjà présente sous une forme faible dans le trading à haute fréquence, accentuera la volatilité des marchés, mais sera peut être interdite ou du moins très contrôlée. Quant à l’alpha potentiellement généré par l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les processus de gestion, sera-t-il durable, sachant que - répétons-le - cette technologie va vite se banaliser ?

La prévision économique et financière a toujours été un art difficile mais la révolution technologique en cours ne fait que conforter la médiocre prédictibilité du futur. Sur la décennie écoulée, personne n’avait prévu la banalisation du smartphone, le formidable succès de Youtube ou la réussite spectaculaire de Facebook dans le mobile, qui vient désormais contester le monopole qu’on supposait solide de Google dans la recherche internet. La question de savoir comment les progrès en cours vont interagir avec la société reste entière. Face à une incertitude aussi majeure, prévoir dès aujourd’hui qui sont les gagnants des changements à venir est une gageure. Là encore, souvenons-nous que dans les années 1950, il y avait plus de 100 constructeurs de moto au Japon. Qui pouvait prévoir alors que Yamaha, Honda et Suzuki triompheraient quand tous les autres ont fini dans les poubelles de l’histoire schumpetérienne ? La nécessité de diversifier ses risques financiers entre les secteurs et les classes d’actifs apparaît donc plus nécessaire que jamais.

 


Rédigé le 3 février 2016

1 GAFA : acronyme désignant les géants du numérique que sont Google, Apple, Facebook et Amazon

Publié en mars 2016

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