Marché naissant mais prometteur, le financement de la préservation des terres pourrait offrir aux investisseurs institutionnels des opportunités en matière de diversification des sources de revenus, tout en luttant contre la dégradation des sols et la déforestation à l’échelle mondiale.

Points clés

  • Les investissements dans la gestion durable des terres constituent une classe d'actifs relativement récente, et offrent des perspectives d‘évolution semblables à celles que les énergies renouvelables ont pu connaitre au cours des 10 ou 15 dernières années. Les fonds d’investissement spécialisés dans les énergies renouvelables gèrent désormais des centaines de milliards de dollars d’actifs, et la gestion durable des terres devrait suivre la même tendance.
  • Les financements publics sont insuffisants pour parvenir à la « neutralité en termes de dégradation des terres », tel que défini dans le cadre des Objectifs de Développement Durable des Nations Unies. Davantage de capitaux privés, d’idées et d’expertise sont nécessaires.
  • Les investissements dans la gestion durable des terres offrent des opportunités attrayantes pour les investisseurs privés : ils peuvent générer des performances en ligne avec celles disponibles sur le marché tout en contribuant au développement durable.
Les nouvelles classes d’actifs rencontrent toujours un certain scepticisme à leurs débuts. Les infrastructures et les énergies renouvelables, qui figurent toutes les deux dans de nombreux portefeuilles institutionnels de nos jours, ont rencontré d’énormes résistances dans les premiers temps. Mais elles constituent aujourd’hui des sources de surperformance et des outils de diversification efficaces pour les investisseurs qui ont su déceler leur potentiel. Dans cette interview, Gautier Quéru, Directeur d’investissements et Responsable du Projet Land Degradation Neutrality (neutralité en termes de dégradation des terres) chez Mirova, détaille la problématique de la dégradation des sols et explique que l’investissement dans le capital naturel va progressivement passer du statut de niche à celui d’une classe d’actifs à part entière, et présente un potentiel de rendements ajustés du risque soutenus et stables sur le long terme.

Pourquoi la dégradation des sols est-elle devenue un enjeu si important ?

La détérioration du capital naturel, ou celle des sols en particulier, a des conséquences graves sur la sécurité alimentaire, les moyens de subsistance, le changement climatique et la biodiversité. La dégradation des sols est due à des activités telles que le surpâturage, à la monoculture à court terme, à la déforestation et à l’industrialisation. En synthèse, le capital naturel souffre de surexploitation et de sous-investissement.

On estime à deux milliards d’hectares la superficie de terres dégradées dans le monde, et à 12 millions d’hectares les terres fertiles qui sont détériorées chaque année. D’après une étude menée en 2016 par l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires, la dégradation des sols a eu une incidence négative sur 29 % de la masse terrestre mondiale. Elle affecte la vie et les moyens de subsistance de millions de personnes dans les pays en voie de développement, et impacte également la qualité des produits vendus dans les pays développés.

Le processus de dégradation des sols peut-il être réduit ou inversé ?

Oui, et depuis de nombreuses années maintenant. Des projets d’agroforesterie et d’agroécologie, associant la production durable de matières premières (comme les produits alimentaires ou les fibres), la conservation de la nature et l’incorporation des communautés locales, ont été mis en œuvre dans plusieurs régions du globe. Ils ont démontré leur capacité à procurer de multiples avantages, notamment sur le plan environnemental, social et des résultats financiers.

Ce type de financement productif n’est pas une déclaration d'intention : il existe déjà. Parmi les exemples d'initiatives en place, on peut citer une plantation de caoutchouc combinée à un programme de conservation et de reboisement en Asie du Sud-Est. Ce projet a permis d’accroître la productivité, de créer des emplois et de réduire la déforestation. On peut aussi citer l’exemple d’un programme en Amérique du Sud combinant une plantation de café résistant au climat et l’accroissement de la productivité. Grâce aux coopératives qui sont des partenaires clés dans l’acheminement des capitaux vers les paysans locaux, ce projet a permis d’accroître les rendements et les revenus de façon durable.

Des centaines de projets similaires sont en cours de développement à travers le monde. Cela dit, nous prenons le temps de mettre en œuvre tous les efforts et l’expertise nécessaires pour faire le tri parmi ces initiatives et sélectionner les projets que nous estimons à même de pouvoir générer impact positif pour les populations locales, de bonnes performances financières mais aussi environnementales – notamment en matière de contribution à l’objectif de neutralité en termes de dégradation des terres.

Comment inciter les investisseurs, nouveaux et existants, à injecter des capitaux supplémentaires dans le secteur ?

Les organismes publics allouent depuis longtemps des ressources à la gestion durable des sols. Le nombre croissant de pays qui s’engagent dans la lutte contre la dégradation des sols témoigne du soutien dont bénéficient les investissements en faveur de la neutralité en termes de dégradation des terres. Toutefois, le financement public et philanthropique n’est pas suffisant pour financer l’ensemble des projets et des initiatives nécessaires pour atteindre cette neutralité à l’échelle mondiale. Elle a besoin des capitaux, des idées et de l’expertise du secteur privé, et beaucoup de discussions aujourd’hui portent justement sur la façon la plus approprié pour ce secteur privé de contribuer à l’effort en faveur du développement durable. Grâce au financement dit mixte ou conjoint (blended finance), une expression qui revient désormais régulièrement lors des réunions du FMI, de la Banque mondiale et du Forum économique mondial, l’argent public est utilisé pour générer davantage d’investissements privés dans des projets susceptibles d’avoir un impact positif en termes de développement tout en générant des rendements. Ces fonds publics fournissent généralement le financement subordonné le plus risqué pour ces projets, et jouent le rôle de catalyseur pour les investisseurs privés en réduisant leur exposition au risque. Le modèle de financement mixte a la capacité d’augmenter le montant des investissements privés : de manière générale, pour chaque dollar investi par un organisme public dans un projet, les investisseurs privés apportent entre 1 et 20 dollars supplémentaires1.

Le secteur reste une niche. Pensez-vous que l’investissement dans le capital naturel va se démocratiser ?

Selon nous, le marché de la gestion durable des terres est similaire à celui des énergies renouvelables il y a 10 ou 15 ans. À l’époque, les énergies renouvelables étaient un ensemble d’actifs et de technologies inédits possédant un historique de performance et un accès au financement bancaire limités. Les projets initiaux étaient financés par des organismes publics, avant de basculer vers des plans de financement mixtes, comme c’est le cas aujourd’hui pour la gestion durable des terres. Les énergies renouvelables sont devenues une classe d’actifs populaire, et il existe désormais des centaines de fonds spécialisés dans ce secteur qui gèrent des milliards de dollars d’actifs. Nous estimons que les investissements dans le capital naturel, telle que la gestion durable des terres, vont suivre la même tendance dans un futur proche.

Comment les préférences des consommateurs favorisent-elles les investissements au sein de ce nouveau secteur ?

De nombreux consommateurs et entreprises grand public commencent à réaliser l’importance du développement durable pour leurs marques et recherchent des matières premières certifiées. Elles sont prêtes à payer plus cher pour des matières premières produites de façon durable, comme le café, le cacao, le thé et le coton, cultivées selon des normes environnementales et sociales spécifiques. Unilever, par exemple, s’est engagé à avoir un impact neutre en termes de déboisement d’ici 2020 dans le cadre de sa production d’huile de palme, de soja, de papier et de carton, et de bœuf. Adidas est l’un des pionniers de l’Initiative en faveur d’un Coton Durable (Better Cotton Initiative) et a pris la ferme décision de n’utiliser que du coton 100 % durable d’ici 2018. De son côté, IKEA s’est fixé pour objectif de ne s’approvisionner qu’en bois recyclé ou certifié FSC à horizon 2020. Parallèlement à la demande grandissante de matières premières produites de façon durable, ce marché naissant de la gestion durable des terres ne cesse de croître et d’offrir de nouvelles opportunités d’investissement. En effet, il s’agit non seulement d’un enjeu de réputation pour les compagnies industrielles, mais aussi et surtout une opportunité qui leur est donnée de repenser et sécuriser leurs chaines d’approvisionnement de façon appropriée sur le long terme, en adoptant une démarche écologiquement responsable.

Quelle est votre stratégie d’investissement ?

Nous privilégions les investissements de long terme dans les projets à grande échelle de restauration des terres et de prévention de dégradation des sols, à vocation lucrative, qui cherchent à inclure les petits exploitants et les communautés locales. Nous avons la possibilité d’investir dans toutes les régions du monde, mais visons une allocation d’au moins 80 % dans les pays émergents. Nous investissons principalement dans des projets liés à l’exploitation agricole et forestière durable, et dans une moindre mesure dans les infrastructures respectueuses de l’environnement et l’écotourisme.

Notre approche cherche à générer des rendements attractifs : le recours à des pratiques agronomiques perfectionnées permet d’augmenter les rendements et la qualité des produits, tandis que les labels tels que Fairtrade, Rainforest Alliance ou FSC permettent de pratiquer des prix plus élevés. Il est important de préciser que les enjeux environnement et sociaux (E&S) sont tout aussi importants que les autres considérations d’ordre financier. Il s’agit d’une composante essentielle de notre processus de décision, à tel point qu’une due diligence E&S est menée systématiquement en préambule de toutes transactions et, à ce titre, nous ne considérons que les projets pouvant contribuer de façon significative à l’objectif de neutralité en termes de dégradation des terres.

Mirova est-elle bien positionnée sur ce secteur ?

Fort d’un engagement de longue date en faveur de l’investissement responsable, Mirova affiche un historique important en matière de financement du développement durable et de fléchage des capitaux vers des projets adéquats et à fort impacts. De plus, nous avons recours à des techniques de financement innovantes et flexibles. Il est rare de posséder ces deux compétences, particulièrement dans un secteur aussi récent.

Par ailleurs, le projet d’acquisition par Mirova d’Althelia Ecosphere, société de gestion spécialiste de l’« impact investing », représenterait une étape importante dans son ambition de devenir le leader européen de l’investissement dans le capital naturel. Althelia identifie et finance des projets dans les secteurs de la gestion durable des sols, de la biodiversité et l’adaptation des écosystèmes au changement climatique, en privilégiant des investissements susceptibles de produire les meilleures performances d’un point de vue social, environnemental et économique. Le regroupement des ressources de Mirova dans le domaine du financement de projet, la combinaison de ses experts des questions environnementales, sociales et des chaines d’approvisionnement avec l’expérience technique, le savoir-faire reconnu et les quatre années d’expérience d’Althelia dans le financement de la préservation des milieux naturels donneraient naissance à une plate-forme européenne dédiée à l’investissement dans le capital naturel, avec des équipes basées à Londres et Paris. Une fois mises en commun, ces ressources permettraient d’accompagner le changement d’échelle de la classe d’actifs « capital naturel » grâce à une vision stratégique de sa croissance, des processus d’investissement robustes et des fonctions supports adéquates.

Autrement dit, nous pensons disposer de la portée, de l’expertise, des ressources et surtout de la volonté nécessaire pour transformer les opportunités que présentent ce marché naissant en solutions d’investissement attrayantes à même de lutter contre la dégradation des terres et la déforestation.

Nous avons un certain nombre de concurrents sur ce secteur, mais nous les considérons davantage comme des confrères ou des collaborateurs que comme des rivaux. Nous travaillons ensemble afin de mettre en commun les compétences, les idées et les opportunités d’investissement.

Les performances sont-elles comparables à celles des actifs traditionnels ?

Nous fournissons essentiellement de la dette à long terme, mais nous sommes également en mesure de bénéficier d’une partie du potentiel haussier en cas de forte performance ou de rachat du projet par un tiers. De ce point de vue, notre stratégie est similaire à celle d’un fonds mezzanine. Nous envisageons de proposer différentes catégories de parts présentant chacune un profil de risque-rendement spécifique.

Au stade initial d’un projet, d’importantes dépenses d’investissement sont généralement nécessaires, par conséquent la performance intervient la plupart du temps à l’issue de cette phase. Sur la durée de vie d’un projet (nous estimons la période appropriée à environ 15 ans), le rendement attendu se situerait dans une fourchette de 7 à 10 %. La plupart des investisseurs se satisfont de ce niveau de performance étant donné que le risque encouru par les fonds engagés est atténué grâce la structure de financement mixte.

Comment cette stratégie peut-elle s’inscrire dans le portefeuille des investisseurs ?

Le secteur n’a pas encore atteint son niveau de maturité, et les investisseurs ont donc souvent du mal à déterminer l’allocation adéquate. Les infrastructures et les énergies renouvelables ont été confrontées à des difficultés similaires à leurs débuts. Pour l’heure, de nombreux investisseurs ont intégré ces actifs à leurs poches investissement responsable ou à impact. Toutefois, plusieurs investisseurs institutionnels d’envergure aux Pays-Bas et dans les pays scandinaves ont investi massivement dans cette classe d’actifs, et la considèrent désormais comme une composante essentielle de leur portefeuille. En outre, le capital naturel constitue un facteur de diversification intéressant au sein d'un portefeuille. Non seulement il est décorrélé des marchés financiers, mais il est réellement diversifié sur le plan géographique, puisque des projets sont mis en œuvre dans l’ensemble des marchés émergents et même dans certains pays développés. Cette stratégie peut être mise en place avec succès dans des pays où les marchés financiers sont immatures ou inefficients, offrant ainsi une diversification géographique supérieure à celle des fonds actions ou obligataires traditionnels.

En conclusion, souhaitez-vous faire passer un message particulier aux investisseurs potentiels ?

La plupart des gens admettent que l’humanité surexploite la nature mais n’y investit pas suffisamment. Les investisseurs ont une chance de pouvoir améliorer les conditions de vie de millions de personnes, de mettre en valeur l’environnement et de lutter contre le changement climatique. Dans le même temps, en investissant dans des projets en faveur de la gestion durable des terres, ils peuvent bénéficier de performances attractives tout en visant à limiter le niveau de risque.

 


1 The Economist, 23 avril 2016 – Financement mixte, la tendance est à la collaboration

Publié en Juillet 2017

MIROVA
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